FISCALITE – Une Loi de Finances peut-elle changer la fiscalité d’une opération passée ?

La petite rétroactivité

 

Les stratégies patrimoniales et fiscales des clients dépendent de la loi en place. Or, dans le contexte incertain, il est pertinent de connaitre les opérations qui bénéficient d’une fiscalité certaine et figée à la date de l’opération et celles qui ont une fiscalité incertaine jusqu’à la fin de l’année. 

Une loi de finances peut-elle changer la fiscalité d’une opération passée ?

La loi de finances est discutée au 4ème trimestre au Parlement pour une promulgation avant le 31 décembre de l’année. Il arrive aussi qu’une loi de finances soit votée en cours d’année, c’est alors une loi de finances rectificative.

 

En matière de droit privé, une loi ne peut pas être rétroactive.

Cependant, cette règle ne s’applique pas en matière de droit fiscal, notamment pour l’impôt sur les revenus et l’impôt sur les sociétés. Ainsi, les lois fiscales votées et promulguées peuvent s’appliquer aux revenus et aux résultats l’année en cours : c’est ce qu’on appelle la « petite rétroactivité ». Par exemple, une loi votée en août de l’année N, peut s’appliquer aux revenus perçus depuis le 1er janvier de l’année N.

Remarque : changement de doctrine fiscale

En cas de changement de doctrine fiscale (c’est-à-dire mise à jour du BOFiP – Bulletin officiel des finances publiques), un contribuable peut se prévaloir de la doctrine administrative en vigueur au jour du fait générateur de l’opération (par exemple au jour de la cession de titres). Il ne peut pas se prévaloir d’une doctrine administrative postérieure au jour de ce même fait générateur.

 

Impôt sur le revenu (IR)

En matière d’impôt sur le revenu (IR) et sur les bénéfices (BIC, BA, BNC), la législation applicable est, sauf dispositions contraires de la loi, celle en vigueur au 31 décembre de l’année au titre de laquelle l’impôt est établi (soit l’année du fait générateur de l’impôt).

Ainsi, il n’est pas possible de connaitre avant le 31 décembre N les modalités d’imposition des revenus perçus en N, et cela quelle que soit la catégorie de revenus (plus-values mobilières, dividendes, traitements et salaires, revenus fonciers, etc.).

En cas de distribution de dividendes par exemple, les modalités d’imposition ne sont donc pas figées (taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) et des prélèvements sociaux (PS) pourraient être modifiés par la loi de finances). Il est donc judicieux d’attendre la fin de l’année afin d’avoir une idée plus précise de la fiscalité qui leur sera applicable grâce au projet de loi de finances de l’année (voire sa promulgation si elle n’est pas tardive).

Exemple :

Pour les revenus perçus en 2024, les règles applicables seront celles en vigueur au 31 décembre 2024, donc telles que prévues dans la loi de finances pour 2025 préparée par le Parlement au 4ème trimestre 2024.

  • Cas particulier de la plus-value immobilière (PVI)

Les plus-values immobilières des particuliers suivent une règle différente. En effet, la plus-value immobilière des particuliers est déclarée et l’impôt est acquitté lors de la cession de l’immeuble. Ainsi, la légalisation applicable sera celle en vigueur au jour de la cession.

Remarque :

Un changement de législation peut cependant impacter indirectement la plus-value immobilière des particuliers. Cela serait le cas si les règles relatives à la CEHR étaient modifiées avant la fin de l’année. Pour rappel, les plus-values immobilières nettes sont utilisées pour le calcul de la base de la CEHR.

  • Cas particulier des prélèvements forfaitaires libératoires (PFL)

Les rachats de contrat d’assurance-vie issus de primes versées avant 2017 peuvent bénéficier, sur option, du prélèvement libératoire lors du rachat.

Ce prélèvement (15 % contrat entre 4 et 8 ans ou 7,5 % contrat de plus de 8 ans) permet d’acquitter définitivement l’impôt. Il s’agit d’un prélèvement LIBÉRATOIRE et non d’un acompte. Ainsi, une modification du taux après la date de rachat ne changera pas l’imposition déjà acquittée sauf en cas de motif d’intérêt général suffisant.

Attention :

Il ne faut pas confondre le PFL (prélèvement forfaitaire libératoire), qui est un prélèvement permettant de se libérer de l’impôt, avec le prélèvement non libératoire payé lors d’un rachat de contrat d’assurance vie issu des primes versées après 2017 ou encore au moment lors de la cession de valeurs mobilières qui constitue seulement un acompte.

  • Cas particulier du report d’imposition

Concernant le report d’imposition, la fiscalité applicable est celle du 31 décembre de l’année de l’apport des titres. Ainsi, un apport en milieu ne permet pas de figer les règles applicables au jour de l’apport, mais seulement celles applicables en fin d’année. L’impôt mis en report est alors théoriquement figé en cas de changement les années suivantes.

Attention :

Le sursis d’imposition est une opération intercalaire, ainsi la fiscalité de l’imposition en sursis n’est pas figée. La fiscalité applicable sera celle en vigueur au 31 décembre de l’année de la fin du sursis d’imposition.

 

Impôt sur les sociétés (IS)

En matière d’impôt sur les sociétés (IS), la législation applicable est celle en vigueur au jour de la clôture d’exercice. La clôture d’exercice peut provenir de différents événements : clôture normale de l’exercice, la cession du fonds de commerce, la dissolution de l’entreprise, la cessation d’activité, le passage de l’IS à l’IR de l’entreprise.

Exemple :

Une société à l’IS a un exercice fiscal allant du 01 juin N au 31 mai N+1. Au 2 juin N+1, une loi rectificative de l’année N+2 est promulguée.

La société ne sera pas concernée pas les modifications apportées sur son exercice qui s’est clôturé au 31 mai N+1. Cependant, son exercice clôturé au 31 mai N+2 le sera.

 

Impôt sur la fortune immobilière (IFI)

En matière d’IFI, le fait générateur de l’impôt est le 1er janvier de l’année. Ainsi, la législation applicable est celle en vigueur au 1er janvier. Par exemple, pour l’IFI 2024, la législation applicable est celle en vigueur au 1er janvier 2024 soit celle issue de la loi de finances pour 2024 promulguée fin 2023.

En cas de loi rectificative, cela ne modifie pas les modalités de calcul et d’imposition de l’IFI dû l’année en question. Par exemple, une loi de finances rectificative en juillet de l’année N ne modifie pas l’IFI dû au 01er janvier de l’année N.

Rappel :

Il est important de noter que la loi de finances rectificative de 2012 avait mis en place une contribution exceptionnelle sur la fortune pour 2012 après le paiement de l’ISF. Ainsi, la création d’un impôt supplémentaire avait permis, au global, d’augmenter l’ISF dû en 2012.

Ainsi, une manœuvre similaire ne serait pas impossible en ce qui concerne l’IFI. Il s’agirait alors d’un nouvel impôt et non de modifier l’IFI.

 

Droits de mutations à titre gratuit (donation, succession)

En matière de droits de mutation à titre gratuit (donation, succession), cette « petite rétroactivité » ne s’applique pas. En effet, la législation applicable est celle qui est en vigueur au jour du fait générateur de l’impôt.

Or, le fait générateur est :

  • Au jour de la rédaction de l’acte de donation ou du don manuel dûment déclaré (en principe, ces jours concordent)
  • Au jour de la révélation du don manuel si ce dernier n’avait pas été déclaré

Ainsi, en cas de don manuel, il est recommandé de déclarer au jour du don afin de maîtriser la fiscalité qui sera applicable.

 

Impôts locaux (taxe foncière, taxe d’habitation, etc.)

En matière d’impôts locaux, la législation applicable est celle en vigueur au 1er janvier de l’année d’imposition, quelle que soit la date de mise en recouvrement de l’impôt.

 

Exit tax

En matière d’exit tax, le fait générateur de la plus-value est au jour du transfert du domicile fiscal hors de France. Les règles applicables sont celle en vigueur au 31 décembre de l’année du changement du domicile fiscal.

Cependant, le taux applicable pour les transferts de domicile peut être modifié à compter du dépôt d’une loi de finances.